En plein été, il est souvent tentant de laisser bébé tout nu, à la plage ou quand il joue à l’eau dans le jardin. Mais est-ce vraiment une bonne idée ? La psychiatre Marie-Noëlle Clément répond à toutes nos questions sur la pudeur des tout-petits.

.

Les bébés sont-ils indifférents à la nudité ?

Marie-Noëlle Clément : Oui ! Avant 2 ans, l’enfant ne perçoit pas visuellement la différence entre les formes : il n’a pas le sens du volume, de la comparaison, au moins lorsqu’il use de ses yeux. Il ne réalise pas la différence entre les organes sexuels et reste donc indifférent à sa nudité comme à celle des autres. À la plage, il peut se déshabiller spontanément et refuser de mettre un maillot de bain par exemple. Il ne sera pas gêné si quelqu’un le voit nu ou s’il voit une personne nue.

 

Quand la pudeur apparaît-elle chez l’enfant ?

M.-N. C. : La pudeur apparaît vers 2 ou 3 ans, quand l’enfant commence à distinguer ce qui est similaire et ce qui est dissemblable. Il observe les corps et prend conscience de la différence anatomique entre fille et garçon et de son appartenance à l’un ou l’autre sexe. L’enfant commence alors à éprouver de la gêne à être vu nu ou à voir les autres nus. La pudeur peut se manifester plus tôt et plus fort chez certains tout-petits : cela dépend de la personnalité, mais aussi du contexte familial. Un enfant très pudique peut, en effet, relayer des inquiétudes ou des habitudes familiales marquées par la pudeur, voire la pruderie. Il peut aussi manifester par là la gêne que lui inspire la nudité de ses parents, s’ils ont pour habitude d’être souvent nus dans la vie quotidienne. D’autres enfants peuvent, au contraire, se montrer moins pudiques : ils se sentent entravés par les vêtements, parfois pour des raisons physiologiques (une sensibilité plus importante du contact de la peau avec les textiles) et l’absence d’habits les libère !

.

Comment réagir face à la pudeur de son tout-petit ?

M.-N. C. : Il convient de toujours respecter le sentiment de pudeur que l’enfant peut manifester. Corps et émotions sont indissociables et il sera difficile d’apprendre à un enfant que son corps lui appartient, si on se montre soi-même nu devant lui ou si l’on ne respecte pas son souhait de s’habiller et se déshabiller à l’abri des regards. C’est aussi l’occasion de lui expliquer que personne n’a le droit de toucher ou de regarder son corps s’il n’est pas d’accord.

 

L’été, peut-on laisser bébé sans maillot de bain à la plage ?

M.-N. C. : Être tout nu ne gênera pas le bébé de moins de 2 ou 3 ans. Toutefois, en tant que parents, nous devons aussi être attentifs aux réactions que peut susciter la nudité de son enfant dans un espace public. Elle n’indiffère pas forcément tous les adultes et leurs regards sur l’enfant peuvent être perturbants pour lui.

 

Et dans un endroit privé ?

M.-N. C. : L’espace familial est perçu comme plus protecteur. Pourtant, les gestes et comportements déplacés à l’égard des enfants surviennent le plus souvent dans l’intimité familiale ! Cela nous oblige donc aussi à nous questionner sur la manière la plus adéquate de les protéger, sachant que le corps de l’enfant n’est pas une donnée neutre et que certains adultes en sont plus troublés que d’autres. Par ailleurs, le vêtement est aussi un code social : il y a une convention à ce que les organes sexuels soient cachés, même dans l’intimité familiale. L’utilisation du vêtement entre donc en jeu dans le processus de socialisation de l’enfant. C’est pourquoi la nudité doit rester l’exception plutôt que la règle, même à la maison.

 

La pudeur s’apprend-elle ?

M.-N. C. : Oui ! La meilleure façon d’apprendre la pudeur à un enfant est d’en témoigner soi-même, en tant que parent, dans sa vie de tous les jours. Il y a des espaces où il faut être habillé et des espaces où l’on peut être nu, comme la salle de bains, les toilettes ou sa chambre. Les parents doivent apprendre aux tout-petits cette géographie domestique, qui ne va pas de soi. Ils doivent leur expliquer que, quand on est nu, il est bon d’être seul. Cela implique de leur donner la possibilité d’une intimité, en leur permettant de fermer la porte de la salle de bains ou des toilettes et, plus tard, en munissant ces portes d’un petit verrou qui leur évite d’être surpris par l’entrée de quelqu’un (ou d’entrer lorsque son père et sa mère sont dans la salle de bains ou dans l’intimité de leur chambre).

.


Encadré : Une évolution des mentalités

Les tout-petits sont de moins en moins nombreux à échapper au maillot de bain, l’été, sur les plages. « La prise de conscience de la pédophilie, via sa pénalisation systématique, a beaucoup joué dans cette évolution, explique Marie-Noëlle Clément. On a longtemps dénié le pouvoir attractif du corps de l’enfant pour les adultes, puis on a dénié les ravages produits sur les enfants par le regard désirant de certains adultes. Depuis quelques années, le traitement judiciaire de ces affaires et leur médiatisation ne permettent plus de les ignorer. Les parents sont donc plus attentifs d’une part à protéger le corps de leurs enfants des regards des adultes et d’autre part à éduquer leurs enfants à se mieux protéger. »

.


.Marie-Noëlle Clément est psychiatre, psychothérapeute, directrice de l’hôpital de jour pour enfants du CEREP-PHYMENTIN, à Paris (10e). Elle est aussi l’auteur de Comment te dire ? Savoir parler aux tout-petits (éditions Philippe Duval).

 


Dossier réalisé par Elise Rengot

Illustration : © Clothilde Delacroix