Bébé se fâche dès qu’on lui dit non ? C’est parce qu’il ne supporte pas les frustrations. Rien d’anormal à son âge… mais, tôt ou tard, il va devoir apprendre à les accepter ! Comment l’accompagner dans cet apprentissage ? Le psychologue Didier Pleux nous répond.

 

Qu’est-ce que la frustration ?

Didier Pleux : C’est un état d’insatisfaction causé par ce qui est déplaisant. Un enfant, comme tout être humain, est « programmé » pour rechercher le plaisir. Il se sent frustré quand il se confronte à la réalité, par exemple quand il s’aperçoit qu’il ne peut pas toujours consommer ou jouer.

 

Comment se traduit-elle chez les bébés ?

Didier Pleux : Lorsqu’il est frustré, un bébé ressent de la colère. Cela se traduit généralement par des cris, des pleurs, des tentatives de pincer ou mordre. Cela peut aller jusqu’à se rouler par terre. Les parents croient parfois que de telles crises doivent s’analyser comme l’expression indirecte d’une angoisse enfouie ou d’un mal-être profond de leur tout-petit. Certes, il peut arriver que la colère soit « symbolique » mais, la plupart du temps, c’est simplement un signe d’intolérance aux frustrations.

 

Pourquoi certains bébés supportent-ils moins les frustrations que d’autres ?

Didier Pleux : Au départ, c’est une question de tempérament. Tous les enfants piquent des colères de temps en temps, quand la réalité ne répond pas à leurs attentes, mais certains plus facilement que d’autres. Le comportement des parents peut avoir une influence. Par exemple, s’ils répondent immédiatement aux demandes de leur tout-petit, ils renforcent sans le savoir son comportement d’exigence. S’ils le survalorisent, il aura tendance à se mettre en colère lorsqu’il ne sera pas mis en avant. S’ils le stimulent trop en lui proposant sans cesse des activités, il se fâchera sûrement lorsqu’il n’y aura aucun adulte pour jouer avec lui.

 

Si les parents préfèrent ne jamais frustrer leur bébé pour éviter les crises, est-ce un problème ?

Didier Pleux : Oui, c’est une mauvaise idée ! Pour se construire, un enfant a besoin à la fois d’amour et de frustration, et les parents doivent trouver le bon équilibre entre les deux. Ils doivent bien sûr être dans l’écoute et l’affection : cet amour crée une relation d’attachement (voir le dossier de juin), mais cela ne suffit pas pour le bon développement de l’enfant. Même très sécurisé affectivement, il a aussi besoin d’apprendre à gérer ses frustrations. Pour cela, les parents doivent parfois se montrer un peu conflictuels et décider de temps en temps à sa place, quitte à ce qu’il se mette en colère ! Il s’agit de confronter le tout-petit à une réalité un peu frustrante, afin qu’il intègre le fait que l’autre existe. Sinon, il ne comprendra pas pourquoi sa « toute-puissance » s’arrête lors de son arrivée à la crèche ou en maternelle. Il aura plus de mal à accepter les contraintes de l’école et à se socialiser.

 

Comment apprendre à un tout-petit à tolérer les frustrations ?

Didier Pleux : En faisant preuve d’autorité en amont. Les parents peuvent établir un petit code familial pour que l’enfant sache quelles sont les règles et ce qui va lui arriver s’il désobéit : il peut être privé de ce qu’il aime (dessin animé, dessert, temps de jeux…) ou bien isolé quelques minutes dans sa chambre. Il s’agit de lui faire comprendre qu’il doit accepter les contraintes, le rien et l’ennui… Les enfants les moins tolérants à la frustration sont souvent ceux dont les parents n’ont pas exercé cette autorité en amont.

 

À partir de quel âge peut-on commencer cet apprentissage ?

Didier Pleux : Dès les premiers mois ! On peut commencer en donnant à son bébé un rythme régulier de sommeil et d’alimentation, et en ne répondant pas toujours immédiatement à ses demandes de câlins et de jeux. Cet apprentissage ne risque pas de nuire au sentiment de sécurité de l’enfant, tant qu’il est fait avec amour.

 

Peut-on faire une « pause » dans cet apprentissage, pendant les vacances d’été ?

Didier Pleux : Eh non, il faut continuer à éduquer son bébé pendant les vacances ! On peut être plus souple sur les horaires, faire plus de jeux avec lui, mais il ne doit pas devenir un petit roi pour autant. Même en vacances, on peut lui demander de penser aux autres, de rendre des services ou de marcher un peu en randonnée… Sinon, le retour à la crèche sera difficile !

 


Pour ou contre la parentalité positive ?

Éduquer ses enfants sans frustration, transformer les corvées en jeux et les interdits en discussions : les principes de la parentalité positive sont à la mode mais font débat chez les psys. Didier Pleux pèse le pour et le contre : « Discuter avec son enfant de certaines règles et entendre ses désirs, c’est une bonne chose ! Mais s’il n’y a qu’une conception positive de l’éducation, on ne parle jamais de choses contraignantes, déplaisantes ou conflictuelles… Or, à mon avis, cela doit aussi faire partie de l’éducation ! Il ne faut pas toujours négocier les interdits, ni rendre facile tout ce qui est difficile. Je ne dis pas qu’il faut retourner à l’autoritarisme mais je pense que, de temps en temps, on peut dire non à un enfant, sans plaidoirie. »


 

Didier Pleux est docteur en psychologie du développement. Il a écrit de nombreux ouvrages sur l’éducation des enfants, dont Les 10 Commandements du bon sens éducatif (Odile Jacob).

 didier pleux 

 

Propos recueillis par Elise Rengot.

Illustration : © Clothilde Delacroix