Alors que l’automne s’installe et que le soleil commence à décliner, Picoti vous fait de nouveau voyager, grâce à sa série de dossiers consacrés à la petite enfance à travers le monde. Pour ce deuxième opus, direction l’Himachal Pradesh, une région située dans le nord de l’Inde. C’est là que vit Élodie, une Française, avec son mari indien, Reyaz, et leur fille Alif, âgée de 16 mois. Elle nous fait découvrir la vie des tout-petits dans ce pays si complexe et si contrasté.

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En Inde, quelles traditions entourent la grossesse ?
Élodie Alexandre :
L’Inde est un pays où les traditions sont très ancrées et les rites nombreux. Mais le pays est si grand qu’ils peuvent énormément varier d’une région à l’autre. Là où je vis, le septième mois de grossesse s’accompagne d’un rite qui célèbre la naissance à venir et la future maman. On l’appelle « Godbharaï ». La famille de la future maman lui rend visite (traditionnellement, les femmes vivent dans leur belle-famille) et lui apporte une offrande de sucreries et de fruits secs enveloppés dans un tissu rouge, qu’elle place sur ses genoux. C’est un symbole de chance, mais il apporte aussi des nutriments dont elle a besoin en fin de grossesse.

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Que se passe-t-il, ensuite, à l’arrivée du nouveau-né ?
É. A. : À la naissance, la belle-mère accueille la jeune maman et son enfant avec une petite cérémonie religieuse. Pendant les dix jours qui suivent, une daïma (sage-femme) du village vient quotidiennement au domicile pour prendre soin de la maman et du bébé. Au onzième jour, un prêtre vient pour une nouvelle cérémonie. La famille donne une grande fête pour introduire le bébé au reste du village (à Andretta, cela représente 400 à 500 invités !). Lors de ce « dham », les invités mangent en plusieurs services, assis par terre, en rangées. Avant cet événement, le bébé n’aura vu que les membres proches de sa famille et la daïma. Si c’est surtout par superstition, c’est aussi pour des raisons de santé et d’hygiène. La plupart du temps, les nourrissons restent dans l’enceinte de la maison pendant les 3 premiers mois de leur vie.

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Andretta est un petit village situé dans la vallée de Kangra. Dans cette région de l’Himalaya, on cultive principalement du thé et des céréales. Non loin de là se trouve Dharamsala, ville d’exil du dalaï-lama. Outre la culture hindoue, prédominante, la culture tibétaine y est donc aussi très présente.


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Existe-t-il des croyances concernant les bébés ?
É. A. : En Inde, tout le monde adore les bébés ! Lorsque nous nous promenons, les gens viennent spontanément vers Alif, lui parlent, lui touchent les joues… même de parfaits étrangers ! C’est parfois surprenant, mais cela permet aussi de voyager détendu, car ici, les enfants ne dérangent jamais et sont toujours les bienvenus. D’ailleurs, on pense que les bébés sont si mignons qu’ils peuvent attirer les convoitises et les mauvais sorts de gens jaloux, envieux ou mal intentionnés. On dessine donc un petit point noir sur le front ou la joue de l’enfant avec du kajal (une pâte noire fabriquée de manière artisanale), pour l’enlaidir symboliquement et ainsi éloigner le mauvais œil (« nazar »). On dit aussi que le kajal est bon pour les yeux. Il est donc utilisé pour dessiner un trait noir sous chaque œil de l’enfant, dès le onzième jour de vie. Dans la région où je vis, il existe aussi une coutume qui consiste à raser la tête des petits garçons après leur première année, pour faire une offrande au dieu Balakroupi. Les cheveux sont placés dans un tissu rouge et apportés au temple. On dit que si on ne le fait pas, on risque de s’attirer la colère du dieu.

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Traditions

– « En Inde, les enfants se font raser les cheveux régulièrement. On dit qu’ils repoussent plus épais et plus vigoureux. Nous avons déjà rasé les cheveux d’Alif deux fois depuis sa naissance. »

– « Les bébés portent souvent des bracelets aux poignets. Une fois qu’elles savent marcher, on met aux chevilles des petites filles des chaînes en argent avec des grelots. Le tintement qu’ils produisent est un moyen efficace de savoir où est passé le bébé !  »

 


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Y a-t-il des particularités dans la façon d’élever les enfants ?
É. A. : Comme les membres d’une même famille vivent côte à côte, la mère, la grand-mère, les tantes s’occupent conjointement des enfants. Dans les familles riches, il est fréquent d’employer des nounous à plein temps. En Inde, les garçons sont souvent considérés comme étant plus précieux que les filles et il n’est par rare que les parents et les grands-parents fassent preuve de favoritisme au sein d’une même fratrie. Par ailleurs, les filles aident leurs mères dans les tâches domestiques, alors que, généralement, on n’attend pas cela des garçons. Les pères ne gèrent pas les tâches quotidiennes et sont peu impliqués dans l’éducation des enfants. Ils ont surtout un rôle d’apport (courses, argent).

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D’où vient cette différence faite entre les filles et les garçons ?
É. A. :
L’Inde est un système très patriarcal, même si, grâce à l’éducation, certaines mentalités commencent à évoluer. Dans ce système sociétal ancestral, ce sont les hommes qui s’occupent de leurs parents quand ils sont trop vieux pour travailler. Les systèmes de retraite ou les maisons de retraite n’existant pas, les parents vivent souvent avec les fils. Les filles, elles, coûtent cher en « dot » au moment du mariage et partent dans la belle-famille de manière définitive. Ce sont donc aussi les fils qui assurent la continuité de la lignée familiale. C’est sur eux que repose la responsabilité financière et morale de s’occuper de leurs parents. Cette préférence des garçons sur les filles n’est donc pas forcément liée à la situation économique du couple.

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La « malédiction des filles » est-elle une réalité ?
É. A. :
Hélas oui. Des campagnes nationales de sensibilisation ont été mises en place pour essayer de faire changer les choses… Car pour toutes les raisons évoquées, l’Inde connaît un énorme déficit de filles (NDLR : les avortements et les infanticides ne seraient pas rares en Inde, où il manquerait actuellement 36 millions de femmes). Alors, pendant toute la durée de grossesse, il est interdit de connaître le sexe du bébé, car beaucoup de familles veulent un garçon et non une fille. Pour ma part, à chaque échographie, je devais signer une déclaration affirmant que je ne demandais pas à savoir le sexe de mon bébé et que le médecin n’avait rien divulgué. Mais, parfois, les gens font aussi des enfants jusqu’à avoir enfin un petit garçon.

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Élodie, Reyaz et leur fille Alif

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Dossier réalisé par Delphine Soury.

Illustrations : © Clothilde Delacroix