Concevoir des livres pour les tout-petits, accompagner des auteurs et des illustrateurs, c’est le métier passionnant que Picoti a choisi de mettre en avant ce mois-ci, avec Aurélie Sarrazin, directrice littéraire du département « éveil et albums » des éditions Milan.

Comment devient-on éditeur jeunesse ?

Aurélie Sarrazin : Aujourd’hui, certains jeunes éditeurs sortent d’écoles de commerce mais le parcours le plus classique reste les études de lettres, aboutissant à un master ou un DUT « édition » ou « métiers du livre ». Pour devenir éditeur jeunesse, il faut avant tout se montrer curieux et créatif, afin de pouvoir innover sans cesse. Il faut également nourrir un fort intérêt pour l’enfant, connaître ses envies, ses compétences, les étapes de son développement… et être très rigoureux puisque l’édition, c’est aussi de la gestion de projets avec des plannings à respecter, des infos à vérifier, des relectures, etc.

À quoi ressemble votre journée de travail ?

A. S. : Il n’y a pas de journée type ! En début d’année, je confie aux éditeurs de l’équipe la réalisation de plusieurs titres. C’est à eux, ensuite, de s’assurer de la bonne conduite de ces projets, en centralisant le travail des intervenants : auteurs, illustrateurs, correcteurs, graphistes, fabricants… Ma mission, en tant que directrice littéraire, est de travailler en collaboration avec les éditeurs mais aussi avec le directeur artistique pour établir un programme de publication cohérent. Je fixe notre ligne éditoriale, j’imagine des concepts, et je suis garante des contenus de chaque ouvrage.

Quelle est cette ligne éditoriale ?

A. S. : Pour les livres d’éveil, nous mettons l’accent sur la complicité parent-enfant, l’humour et l’interactivité. Pour les albums, nos choix reposent sur notre sensibilité, sur des coups de cœur. Nous cherchons à garder une certaine continuité avec notre fonds, tout en intégrant régulièrement à notre catalogue de nouveaux auteurs et illustrateurs. Nous les sélectionnons lors de réunions mensuelles, sur envois de manuscrits et de books.

Quelles sont les spécificités de l’édition pour les tout-petits ?

A. S. : Les éditeurs de livres d’éveil ont une responsabilité particulière, car ils offrent aux bébés leur tout premier contact avec la littérature. Il faut que ce premier « rendez-vous » soit satisfaisant, pour qu’ils aient envie de découvrir d’autres livres par la suite. Comme ils ne sont pas lecteurs, nous devons leur proposer des livres qui peuvent être lus par les parents, mais aussi appréciés par les bébés lorsqu’ils les manipulent seuls. Les illustrations sont donc essentielles, tout comme le support. C’est pourquoi, depuis une dizaine d’années, nous multiplions les concepts de fabrication qui permettent plus d’interactivité : livres à toucher, à rabats, à tirettes, livres-puzzles, livres sonores…

Les thèmes abordés ont-ils aussi évolué ?

A. S. : Oui, même si, pour les tout-petits, les thèmes traditionnels perdurent aussi (comme les formes, les chiffres, les couleurs, les contraires, les animaux, les transports ainsi que les contes classiques et les comptines). Ces dernières années, nos connaissances sur les bébés ont beaucoup évolué. Avec l’apport des neurosciences, les éditeurs ont pris conscience des grandes capacités intellectuelles des tout-petits et de leurs besoins pour bien développer leur cerveau : besoin qu’on s’adresse à eux, qu’on les considère, qu’on passe des moments de qualité avec eux… Cela nous incite à éditer des livres sur de nouveaux thèmes : les émotions par exemple, ou encore la relaxation, le bien-être et l’accompagnement bienveillant des petits.


Une solidité à toute épreuve

Considérés par la loi comme des jouets, certains livres d’éveil doivent être conformes à des normes de sécurité précises, pour pouvoir être mis en vente sur le marché européen. Ils subissent donc une série de tests en laboratoire. « Ces tests sont réalisés par une société spécialisée, explique Marine Anquetin, fabricante aux éditions Milan. Par exemple, des machines vérifient que le livre ne s’endommage pas en cas de chutes répétées et évaluent sa résistance en exerçant sur lui toutes sortes de tensions. Le livre subit aussi un test de feu, pour mesurer à quelle vitesse il s’enflamme. Ensuite, il y a des tests chimiques : chaque matériau est isolé et plongé dans une cuve qui simule un estomac. Ainsi, on s’assure qu’aucun composé toxique ne se libère si l’enfant ingère un morceau. » La marque CE est alors apposée et garantit la sécurité des enfants. Les critères sont encore plus stricts quand l’objet est destiné aux moins de 3 ans : aucun petit élément ne doit pouvoir être détaché !


Illustrations : © Laurent Simon

Dossier réalisé par Élise Rengot