À quoi servent les émotions ?

Isabelle Filliozat : Chez les enfants comme chez les adultes, les émotions sont plus qu’un langage, ce sont des réactions physiologiques que nous déclenchons face à certaines situations. Elles nous aident à nous adapter à notre environnement : la peur aide à se protéger en cas de danger, l’amour nous relie aux autres, la colère définit nos limites, elle est réaction à la frustration. Ainsi, lorsqu’un enfant voit sa tour de cubes tomber, il est frustré car il se rend compte qu’il n’y arrive pas. Il n’est pas rare que la situation aboutisse à une crise de colère. Celle-ci n’empêche pas le sentiment d’impuissance, elle permet en revanche à l’enfant de l’évacuer, de passer à autre chose. S’il n’exprime pas de colère, il se sentira impuissant mais pensera surtout qu’il l’est vraiment. C’est la raison pour laquelle il faut laisser les émotions de l’enfant s’exprimer : elles l’aident à s’épanouir.

Pourquoi sont-elles si intenses chez les jeunes enfants ?

  1. F. : Entre 1 et 3 ans, le système émotionnel de l’enfant est très actif et réactif. Il n’est pas encore contrôlé comme l’est celui de l’adulte. Ce dernier pondère sa réaction émotionnelle grâce au néocortex, une région du cerveau. C’est ici que l’information est interprétée, ce qui permet de donner du sens à la situation et donc de tempérer la réaction. Chez les petits enfants, le néocortex n’entre pas encore en action. Seul le système limbique, siège des émotions, réagit. Ils n’ont donc pas la capacité de calmer leurs émotions, de les contrôler. Ils en sont totalement envahis, laissant la place aux pleurs, aux cris, aux décharges toniques ou aux tremblements provoqués par ce trop-plein d’émotion.

 

Les enfants de cet âge font-ils des caprices ?

  1. F. : Non, en dessous de 3 ans, ils n’ont pas la capacité mentale de produire un caprice. On pense souvent que, lorsqu’un enfant pleurniche, c’est parce qu’on ne lui a pas donné la chose qu’il voulait. En réalité, c’est rarement le cas. Je me souviens d’un soir avec ma fille, quand elle était petite. Elle prenait un bain et râlait parce que l’eau n’était pas assez chaude. Alors j’ai fait couler un peu d’eau chaude, mais là, c’était trop chaud. Ensuite, le savon n’était pas le bon, le petit canard non plus. Puis, à la sortie du bain, quand je l’ai enveloppée de sa serviette, elle s’est mise à pleurer parce que ses orteils dépassaient. On pourrait penser que ma fille pleurait pour rien, qu’elle faisait un caprice pour l’eau, le savon ou la serviette. Il n’en était rien, ce n’était que l’apparence des choses. La vraie raison pour laquelle elle pleurait, je l’ai trouvée un peu plus tard dans la soirée, après avoir réfléchi. Je me suis rappelé qu’avant d’entrer dans le bain elle m’avait demandé d’une petite voix plaintive : « Dis, Maman, il y a école demain ? ». Je lui avais juste répondu par l’affirmative en oubliant de prendre garde au ton de sa voix. Après m’être rappelé ce moment, je suis allée la voir et je l’ai serrée bien fort dans mes bras en lui disant : « C’est dur pour toi, l’école, hein ? ». C’est alors qu’elle s’est mise à pleurer pour de vrai : trois grands sanglots, et c’était fini. Nous n’avons pas eu besoin de parler de l’école, elle avait juste besoin de lâcher ce qu’elle ressentait et d’être entendue. Après ça, tout a été bien. Ma fille ne s’est pas dit : « Maman n’a pas écouté quand j’ai dit que l’école, c’était dur, alors je vais l’énerver avec l’eau, le savon et la serviette ». Non, elle savait seulement qu’elle était mal. Sa charge émotionnelle était grande mais elle était trop jeune pour savoir mettre des mots dessus. Cet énervement et cette tension intérieurs font que des petits riens (l’eau du bain, le savon) ont déclenché la sortie de ces émotions.

Comment aider les parents à gérer les émotions de leur enfant ?

  1. F. : Le simple fait de savoir ce qui se passe pour l’enfant modifie complètement la manière de réagir des parents. Savoir, par exemple, qu’il ne fait pas de caprices indique aux parents que la cause apparente est rarement la vraie cause de l’émotion. Elle est juste le déclencheur. C’est aux parents de trouver la cause pour accompagner leur bébé. Qu’ils se rassurent, ce n’est pas si compliqué : une fois qu’ils savent qu’il y a une différence entre déclencheur et cause, ils arrivent assez rapidement à identifier ce qui se passe dans la tête de leur enfant. Pour preuve, beaucoup de parents savent que, quand un enfant râle et pleurniche le soir, c’est tout simplement parce qu’il est fatigué…
Propos recueillis
par Claire de Guillebon

Au cœur des émotions de l’enfant, Isabelle Filliozat, Marabout, 5,99 €.